Saint-Etienne, le gâchis de la Cité du design : Lettre ouverte de Josyane FRANC

Lettre ouverte de Josyane FRANC, Directrice honoraire des relations internationales de l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Saint-Etienne et la Cité du design, Ambassadrice de la Cité du design et Chevalier de l’Ordre National du Mérite aux stéphanois.es, citoyen.ne.s, designer.e.s et au monde de la Culture.

En réponse à l’article du Journal des Arts, «A Saint-Etienne, le «gâchis» de la Cité du design», publié par Sindbad Hammache le 22 novembre 2022
https://www.lejournaldesarts.fr/creation/saint-etienne-le-gachis-de-la-cite-du-design-163734

DESIGN RESISTANCE SAINT-ETIENNE
Depuis septembre, Saint-Etienne fait la une de la presse locale, nationale et internationale pour un scandale politique honteux.
Depuis octobre, à la suite de pilotages hasardeux, la Cité du design rejoint dans la tourmente, le bal des annonces catastrophiques pour l’image de la ville.
Je suis comme beaucoup de citoyen.ne.s de cette ville indignée par toutes ces pratiques politiques lamentables qui trainent notre ville et territoire dans la boue, et détruisent les espoirs qu’avait fait naître cette aventure du design.
Je suis indignée et me décide à prendre la parole. Après 30 ans de carrière, je pense à mes collègues, à tout le personnel qui travaille actuellement dans une ambiance désastreuse, aux démissionnaires écœurés, aux licenciés victimes de cette situation. Je veux partager avec vous mes interrogations mais surtout l’impact des actions de la Cité du design «la force motrice du territoire » et espère en faisant cela, que vous en reconnaitrez sa valeur.

Comment est-il possible d’assister à ce déballage mortifère pour la Cité du design ? Comment pouvons-nous tolérer collectivement la destruction d’un tel investissement pour la Ville de Saint-Etienne, mais aussi pour les générations futures ? Comment accepter un tel gaspillage en période où nos sociétés doivent faire des économies et ont des besoins profonds d’outils spécifiques comme le design ? Quelle folie pousse à faire disparaître cette Cité ? C’est un pur sabotage !

Constatez :
> Le bilan de la Biennale n’apparaît que sous la forme d’un déficit, sans dire que la durée est passée de 2 à 4 mois pour un budget constant depuis 2017 et sans montrer une seule de ses nombreuses réussites. Sa thématique était au cœur des enjeux socio-politiques du moment (bifurquer, choisir l’essentiel !), les expositions ont été plébiscitées par la presse et par les visiteurs, le continent africain était mis à l’honneur à travers son design singulier et pluriel, des conférences internationales, des réseaux professionnels et des écoles se sont rencontrés autour de débats d’excellence, des résonances dans la ville, dans notre région et en France.

Je suis fière d’être stéphanoise, fière de notre biennale.
> Rappelez-vous que cette édition a été conçue en plein COVID, que des femmes et des hommes ont travaillé d’arrache-pied pour bâtir cet événement unique en France !
> Douze biennales internationales depuis le pari ambitieux lancé en 1998 par Jacques Bonnaval directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne avec le soutien municipal puis conduit par la Cité du design depuis 2005 qui ont porté Saint-Etienne sur le devant de la scène nationale et internationale. Douze biennales qui ont bouleversé le territoire stéphanois, le monde du design et de la culture mais aussi la façon dont on conçoit aujourd’hui notre monde matériel : et cela est essentiel pour penser une période complexe où nous devons changer de mode de vie.

Saint-Etienne n’existait dans l’imaginaire collectif que pour des défaites : fermeture des mines, ville noire, fermeture de Manufrance , désindustrialisation française , défaite de l’ ASSE en coupe d’Europe etc.

Le renouveau a été incarné entre autres, mais au premier chef, par le design, la biennale et l’institution Cité du design n°1 du design en France, moteur de tous les métiers du design, de tous les réseaux, de tous les acteurs d’une profession. Ces facteurs d’excellence ont contribué à la désignation en 2010 de Saint-Etienne ville UNESCO de design et à son entrée dans le réseau des villes créatives qui croient en leur avenir, la positionnant sur la carte du monde.

L’avant-garde mondiale du design est tous les deux ans à Saint-Etienne: quelle chance extraordinaire . Qui l’aurait cru ? Tous les publics touchés, pas seulement le grand public mais des publics divers, des apprenants, des sachants, qui deviennent aussi des prescripteurs de notre ville. Ce sont des années de réussites qui ont conquis ces gens, qui ont forgé des souvenirs, de nouveaux imaginaires qui englobent notre ville. Une multitude de projets et d‘expérimentations sur le territoire (voir liste en annexe), mesdames, messieurs et les journalistes , je vous invite à parler de ces réussites: la ville se transforme de l’intérieur et le design n’y est pas pour rien.

Saint-Etienne est un pays de création et d’innovation, cœur du rayonnement économique de la France depuis deux siècles et a inscrit depuis 24 ans, dans ses racines, l’ADN du design.
Saint-Etienne est une ville de culture et d’industrie qui a su relever les défis, un modèle extraordinaire de ville résiliente.
Pourquoi l’impact des actions générées par la Cité du design pour diffuser la culture du design sur le territoire depuis sa création en 2005 est-il ignoré des citoyen.ne.s ?

Pouvez-vous citer un établissement stéphanois qui ait été capable de faire rayonner notre territoire sur le plan national et à l’international comme l’a fait la Cité du design ? Ce n’était pas arrivé depuis l’Ecole des Mines, depuis Manufrance, depuis les victoires de l’ASSE !

Cette guerre politique qui agite nos élus, anéantit tant d’années de passion et de travail dans et pour cette ville. Assistons-nous à un démantèlement programmé de la Cité du design (le pôle entreprise réduit et le pôle recherche aujourd’hui fermé, la biennale en questionnement) au profit d’un secteur privé ou d’un autre territoire français ? La Cité du design, ce sont des hommes et des femmes engagé.e.s qui ont rêvé de changer leur ville par la culture. Pas seulement un bâtiment moderne, mais des humains qui souffrent de cette situation et ne peuvent s’exprimer car soumis au droit de réserve des agents territoriaux.

Que va –t-il résulter de cette crise pour l’image de notre territoire, pour la Cité du design, les entreprises, les habitants, nous qui avons revendiqué être des « stéphanois fiers « et qui sommes maintenant salis ? Ceci va entraîner la fuite des talents créatifs.Les ennemis du design (outil pour bifurquer) sont nombreux sur notre propre territoire, champions du dénigrement depuis toujours -car c’est un super sport le french bashing ! Quelles peurs ont-ils ? Que vont- ils gagner à la ruine de la Cité du design , à part des éclaboussures pour tous.

Combien d’années va-t-il falloir pour reconstruire l’image positive de Saint-Etienne , la fameuse attractivité ?
Et pour me rassurer, je relis le discours d’inauguration officielle de la Cité du design en 2009 par le Ministre de la Culture (Frédéric Mitterrand) : « Je suis particulièrement heureux d’être ici, aujourd’hui, parmi vous, pour l’inauguration de cette Cité du design, parce qu’elle est la réalisation d’un grand projet, d’un grand dessein : celui de réunir dans un même espace, une école supérieure, des lieux d’exposition, de création et de recherche. (…). J’aime ce terme de « Cité » : il désigne à la fois le lieu de vie qu’est la ville, un espace citadin, mais aussi un espace citoyen. Il dit les échanges, le vivre-ensemble des disciplines, des activités, des personnes, qui ont vocation à être accueillies dans un même espace, dans une continuité entre la création, la recherche, l’enseignement bien sûr mais aussi l’industrie (…) Pour moi, la culture sera sociale ou ne sera pas. « Sociale » c’est-à-dire inscrite dans la société, capable d’en capter la tendance et de la refléter dans toutes ses composantes. J’ai envie de dire qu’il n’y a pas de quartiers de noblesse pour la culture et que la transmission est un devoir pour tous…

Je souhaite que le design français, l’un des plus dynamiques du monde, continue de rayonner et je sais que cette Cité du design y contribuera fortement. »
Je m’interroge comme n’importe quel.le citoyen.ne sur le devenir de ce territoire avec des gouvernances aussi irresponsables . Mais je sais que la grande force de Saint Etienne, ce sont des intellectuels, des jeunes gens et filles pleins de talents et de créativité, des designers, des artistes, des grandes écoles, des travailleurs et leur savoir-faire, des entrepreneurs innovants.
Je sais que leur énergie, leur solidarité a toujours permis à cette ville de surmonter ses crises et d’en sortir par le haut et cela me donne , malgré tout, confiance et espoir.
Je vous remercie pour votre attention. Si vous êtes également indigné.e par tout cela , si vous pensez que la Cité du design a rempli ses missions et doit les poursuivre alors je vous invite à le faire savoir haut et fort par tous les moyens .

Très cordialement.
Saint-Etienne le 1er décembre 2022

Josyane FRANC
Directrice honoraire des relations internationales Cité du design & Ecole Supérieure d’art et design de Saint-Etienne, Ambassadrice Cité du design, Chevalier de l’Ordre national du Mérite, Membre de l’équipe fondatrice de la Biennale Internationale Design Saint- Etienne 1998, responsable de l’international jusqu’en 2019 (11 Biennales), en charge du dossier de candidature de Saint-Etienne ville UNESCO de design, coordinatrice et point focal UNESCO pour Saint-Etienne de 2010 à 2019 .